Les chroniques du Houtland.
L’alouette en colère.
Le 15 novembre 2007.« Écrire est un métier pénible, avec ou sans génie. Avec c’est encombrant. Sans, c’est frustrant. »Félix LeclercCousin de l’autre côté de l’eau, un « raconteux » m’a dit qu’il y a bientôt deux décennies un poète s’est endormi pour aller rêver ailleurs nous faisant par là « une dernière bonne joke… »
Vers la Rive-Nord du fleuve St-Laurent, les érables ne flamboient pas encore en ce matin d’août 1988.
Le ciel de l’île d’Orléans est désespérément vide, les oies cendrées sont restées chez elle. Comme une pudeur d’oiseau sauvage envers le vieil homme qui dort… Ce matin l’alouette en colère s’est tue. Pourtant vingt ans après, malgré le tumulte des « niaiseux » et autres « chiens à culottes », il chante encore notre Félix.
Pardonne-moi mon cousin de l’autre côté de l’eau si je dis « notre » Félix. À force de talent il est devenu planétaire.
Toutes ses générosités sont devenues les nôtres : la fierté des racines, la résolution, l’originalité, l’indépendance d’esprit.
Dans ce vieux pays, certains se souviennent que Félix Leclerc fut également un écrivain prolifique, auteur de chroniques douces-amères (merci Félix, les chroniques, j’aime…) où à la manière d’un Ésope ou d’un Jean de La Fontaine, il fit dialoguer bêtes et hommes, ces thèmes de prédilection y sont présents, l’imagination est la cause indigne à mettre au banc d’infamie, voilà le verdict des hommes…, elle est l’origine d’un bouleversement de l’ordre établi.
L’univers des chroniques de Félix Leclerc où les lapins deviennent nos contemporains aux noms évocateurs ne prête pas à sourire : des noms suggestifs et des destins funestes,
Trotte-Pesant, Rondudu, Nez en l’air, Oreille déchirée, Myope… Leur monde est comme le nôtre : cruel, cynique, sans appel. Il y est question du désarroi de l’homme face à son environnement social, monde citadin ou monde rural, mais aussi de l’impossibilité de communiquer avec ses semblables. Le cloisonnement de nos sociétés, quelle clairvoyance ! Félix Leclerc avait déjà compris nos sociétés actuelles.
Un jour, cousin, j’enjamberai le grand océan et je viendrai te serrer la main.
Les calepins d’un flâneur dans la poche, « j’amarrerai » mes souliers que je me garde bien de cirer et j’irai faire le tour de l’île d’Orléans
Il me plaît de penser que loin d’avoir « sacrer ton camp », tu es toujours là Félix… Tu es devenu une ride sur le fleuve, l’odeur du vent à travers les branches des grands feuillus, la lumière dans l’eau « à la brunante »…
Le père, ici aussi, se prénommait Félix cela veut dire heureux. Heureux, il le fut certainement comme toi.
Parfois, les soirs d’été, lorsque « je prends une marche » sur les bords de mon détroit, là-haut, dans les Hauts de France, la lumière déclinante sur la blondeur des dunes me fait découvrir un spectacle insolite, je vois se découper trois silhouettes sur l’horizon, par-delà l’océan… Ainsi, je sais qu’une fois encore j’ai vu le loup, le renard et le lion… Même si les soldats ne sont toujours pas troubadours et que nous ne vivons toujours pas d’amour…
Un matin, cousin, je viendrai te serrer sur mon cœur et pour faire mentir les clichés folkloriques, tu m’inviteras à la cabane à sucre, peut-être qu’autour d’une soupe aux pois ou d’une assiette de crêpes nous parlerons de Félix Leclerc, tu m’apprendras le parler Joual et je t’apprendrai le Ch’ti.
Sur les bords de l’Île, à la brunante, nous regarderons une fois de plus voler les oies cendrées en nous disant qu’en ce bas monde « minoucher sa blonde » est une philosophie qui nous sied à merveille…
Cousins de l’autre côté de l’eau au parler vrai et au cœur libre laissons rêver Félix, lui qui nous a tant donné et fait méditer sur l’amour de la liberté.
« Mourir à une tâche irréalisable est préférable à vivre sans heurt comme un inclinée » Félix LeclercPrière bohémienne.À tous les bohémiens, les bohémiennes de ma rue
Qui sont pas musiciens, ni comédiens, ni clowns
Ni danseurs, ni chanteurs, ni voyageurs, ni rien
Qui vont chaque matin, bravement, proprement
Dans leur petit manteau sous leur petit chapeau
Gagner en employés le pain quotidien
Qui sourient aux voisins sans en avoir envie
Qui ont pris le parti d'espérer
Sans jamais voir de l'or dans l'aube ou dans leur poche
Les braves bohémiens, sans roulotte, ni chien
Silencieux fonctionnaires aux yeux fatigués
J'apporte les hommages émus
Les espoirs des villes inconnues
L'entrée au paradis perdu
Par des continents jamais vus
Ce sont eux qui sont les plus forts
Qui emportent tout dans la mort
Devant ces bohémiens, ces bohémiennes de ma rue
Qui n'ont plus que la nuit pour partir
Sur les navires bleus de leur jeunesse enfuie
Glorieux oubliés, talents abandonnés
Comme des sacs tombés au bord des grands chemins
Qui se lèvent le main cruellement heureux
D'avoir à traverser des journées
Ensoleillées, usées, où rien n'arrivera que d'autres embarras
Que d'autres déceptions tout au long des saisons
J'ai le chapeau bas à la main
Devant mes frères bohémiens Félix Leclerc