Chroniques du Houtland .
Le 13 mai 2005. «
Je m’appelle Claudine, j’habite Montigny ; j’y suis née en 1884 ; probablement je n’y mourrai pas. »
Colette – Claudine à l’école. Quel étrange paradoxe… Notre époque se délecte du mot « liberté », l’accommode à toutes les sauces et le conjugue à tous les temps. Liberté… Un terme finalement un peu galvaudé et qui relève encore et toujours de l’utopie. Avons-nous finalement perdu la faculté d’être libre, de marier surtout la liberté avec son indispensable sœur l’originalité ?
Chère madame Colette,
Juste quelques mots envoyés par la fenêtre entrouverte, des feuillets bleus comme vous les aimiez, ils s’envolent dans la brise du couchant, peut-être vers Saint-Sauveur-en-Puysaye, à moins qu’ils ne s’accrochent aux branches de la Treille Muscate, qui peut savoir ?
Je vous ai rencontré, il y a bien des années et de façon classique, en classe de sixième où nous découvrions Kiki La Doucette, Toby Chien et leurs savoureux dialogues… Depuis, tout en grandissant, plutôt en vieillissant (terme plus juste car faute de grandir véritablement, nous vieillissons…) je vous ai lu et relu, comme on retrouve une vieille amie après une longue absence…
Chère Colette, dans cette année 2005, votre liberté d’esprit rafraîchit ce début de siècle où la standardisation du mercantilisme médiocre est à l’honneur. Pensée unique et politiquement correct sont les religions encensées par les médias (entités vagues et corrompues) de la couleur du mur des cellules… Les prisons du rêve et de l’imagination.
Il y a quelques temps, votre début de vie fut adapté pour le petit écran… Une autre femme libre vous faisiez revivre… Une femme fougueuse et indomptée, une femme au destin tragique…
Si vous la rencontrez, et je suis certain que c’est chose faite, donnez-lui la main et accompagnez-là, un bout de chemin sur la grève, dites à Marie que comme vous, elle a marqué son époque. En regardant la Méditerranée et tout ce bleu et or, dites à Marie que de même que pour vous, personne ne l’oubliera… Et que nous vous aimons…
L’exercice de la liberté est un art difficile mais au contraire des hommes, il ne rebute nullement les femmes, bien au contraire… Plus il est difficile de s’affirmer, plus leur détermination s’en trouve renforcée.
Vous vous êtes affranchie de votre « Pygmalion » afin de mieux faire connaître votre talent pour l’écriture… Espérons que votre rébellion puisse servir d’exemple à tant et tant de jeunes femmes ou de jeunes filles victimes d’un système qui, souvent, les étouffe.
Parce que scandale n’effraie que les chagrins et les sots, Madame, vous m’avez toujours étonné, et je vous admire pour cela tout autant que pour votre prose légère. Vos rapports sensuels avec la nature, l’amour et cet appétit formidable du beau, du doux et du bon, n’est-ce pas cela que l’on appelle la vie ?
Tant d’amours traversée et pourtant parfois tant de solitude… La solitude, le prix souvent cher payé de la liberté…
Vos penchants ne faisaient nulle distinction d’âges, de situations ou de sexes, vous aimiez… Point. En fait du lointain de ces années, vous incarniez la véritable modernité. L’avons-nous déjà perdu, cet état d’esprit ? Sommes-nous à l’aube d’une époque sans reliefs où le fait de relever la tête nous dénonce comme marginal ?
Et puis la vie passe, Madame, et vieillir nous est bien difficile, ceux qui jamais ne s’impliquent ne souffrent pas… Et vous vous êtes impliqué beaucoup et souvent… Mais, pourtant si l’addition est redoutable, que serait la vie sans l’amour que l’on porte aux autres ? Une à une, les lampes de nos amours, de nos amis et de ceux qui nous sont chers s’éteignent, mais nous restent les souvenirs… De votre fenêtre du Palais Royal vous observez le monde, et malgré vos multiples souffrances, vous ne fermez jamais votre porte aux autres, ils sont la transition entre vous et le monde. Votre passion de la vie vous anime et vous maintient malgré tout… Votre passion est votre force.
La faculté de lire ou d’écrire (mais n’est-ce pas la même démarche ?) permet de vivre plusieurs vies en une seule existence. Toutes ces vies présentes, passées ou à venir nous enrichissent, nos modifient et nous façonnent… Il y a des auteurs qui nous semblent des amis proches, comme la vie est bizarre…
Sous votre fanal bleu, vous mettez la dernière touche à l’œuvre d’une vie, dans un halo rassurant, votre main trace des signes indélébiles, de minuscules pistes d’éternité…
Mon fanal à moi est jaune… Par delà le vaste océan des traceurs de signes, une multitude de phares s’allument et s’éteignent… Se répondant inlassablement d’un bout à l’autre, tout simplement pour dire, je suis là, avec vous et je ne vous oublie pas. Votre fanal a contribué à en allumer une kyrielle d’autres chez les gardiens des signes que nous sommes toutes et tous. Au revoir Madame Colette, mes amitiés à Marie, et à toutes les autres, les libres, les indomptées…
« Avec humilité, je vais écrire encore. Il n’y a pas d’autre sort pour moi. Mais quand s’arrête-t-on d’écrire ? Quel est l’avertissement ? Un trébuchement de la main ? J’ai cru qu’il en était de la tâche d’écrire comme des autres besognes ; déposé l’outil, on s’écrie avec joie : « Fini ! » et on tape dans ses mains, d’où pleuvent les grains d’un sable qu’on a cru précieux… C’est alors que dans les figures qu’écrivent les grains de sable on lit les mots « A suivre… » »
Colette – Le Fanal bleu