Mots d'art & Scénarios
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 Paul Valery

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didier meral
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MessageSujet: Paul Valery   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:06

Le cimetière marin

1920


Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !

Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d’imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l’abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d’une éternelle cause,
Le Temps scintille et le Songe est savoir.

Stable trésor, temple simple à Minerve,
Masse de calme, et visible réserve,
Eau sourcilleuse, Œil qui gardes en toi
Tant de sommeil sous un voile de flamme,
Ô mon silence !… Édifice dans l’âme,
Mais comble d’or aux mille tuiles, Toit !

Temple du Temps, qu’un seul soupir résume,
À ce point pur je monte et m’accoutume,
Tout entouré de mon regard marin ;
Et comme aux dieux mon offrande suprême,
La scintillation sereine sème
Sur l’altitude un dédain souverain.

Comme le fruit se fond en jouissance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt,
Je hume ici ma future fumée,
Et le ciel chante à l’âme consumée
Le changement des rives en rumeur.

Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change !
Après tant d’orgueil, après tant d’étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m’abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m’apprivoise à son frêle mouvoir.

L’âme exposée aux torches du solstice,
Je te soutiens, admirable justice
De la lumière aux armes sans pitié !
Je te tends pure à ta place première,
Regarde-toi !… Mais rendre la lumière
Suppose d’ombre une morne moitié.

Ô pour moi seul, à moi seul, en moi-même,
Auprès d’un cœur, aux sources du poème,
Entre le vide et l’événement pur,
J’attends l’écho de ma grandeur interne,
Amère, sombre, et sonore citerne,
Sonnant dans l’âme un creux toujours futur !

Sais-tu, fausse captive des feuillages,
Golfe mangeur de ces maigres grillages,
Sur mes yeux clos, secrets éblouissants,
Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,
Quel front l’attire à cette terre osseuse ?
Une étincelle y pense à mes absents.

Fermé, sacré, plein d’un feu sans matière,
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres ;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux !

Chienne splendide, écarte l’idolâtre !
Quand solitaire au sourire de pâtre,
Je pais longtemps, moutons mystérieux,
Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
Éloignes-en les prudentes colombes,
Les songes vains, les anges curieux !

Ici venu, l’avenir est paresse.
L’insecte net gratte la sécheresse ;
Tout est brûlé, défait, reçu dans l’air
À je ne sais quelle sévère essence…
La vie est vaste, étant ivre d’absence,
Et l’amertume est douce, et l’esprit clair.

Les morts cachés sont bien dans cette terre
Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
Midi là-haut, Midi sans mouvement
En soi se pense et convient à soi-même…
Tête complète et parfait diadème,
Je suis en toi le secret changement.

Tu n’as que moi pour contenir tes craintes !
Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes
Sont le défaut de ton grand diamant…
Mais dans leur nuit toute lourde de marbres,
Un peuple vague aux racines des arbres
A pris déjà ton parti lentement.

Ils ont fondu dans une absence épaisse,
L’argile rouge a bu la blanche espèce,
Le don de vivre a passé dans les fleurs !
Où sont des morts les phrases familières,
L’art personnel, les âmes singulières ?
La larve file où se formaient les pleurs.

Les cris aigus des filles chatouillées,
Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
Le sein charmant qui joue avec le feu,
Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
Tout va sous terre et rentre dans le jeu !

Et vous, grande âme, espérez-vous un songe
Qui n’aura plus ces couleurs de mensonge
Qu’aux yeux de chair l’onde et l’or font ici ?
Chanterez-vous quand serez vaporeuse ?
Allez ! Tout fuit ! Ma présence est poreuse,
La sainte impatience meurt aussi !

Maigre immortalité noire et dorée,
Consolatrice affreusement laurée,
Qui de la mort fais un sein maternel,
Le beau mensonge et la pieuse ruse !
Qui ne connaît, et qui ne les refuse,
Ce crâne vide et ce rire éternel !

Pères profonds, têtes inhabitées,
Qui sous le poids de tant de pelletées,
Êtes la terre et confondez nos pas,
Le vrai rongeur, le ver irréfutable
N’est point pour vous qui dormez sous la table,
Il vit de vie, il ne me quitte pas !

Amour, peut-être, ou de moi-même haine ?
Sa dent secrète est de moi si prochaine
Que tous les noms lui peuvent convenir !
Qu’importe ! Il voit, il veut, il songe, il touche !
Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,
À ce vivant je vis d’appartenir !

Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d’Êlée !
M’as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas !
Le son m’enfante et la flèche me tue !
Ah ! le soleil… Quelle ombre de tortue
Pour l’âme, Achille immobile à grands pas !

Non, non !… Debout ! Dans l’ère successive !
Brisez, mon corps, cette forme pensive !
Buvez, mon sein, la naissance du vent !
Une fraîcheur, de la mer exhalée,
Me rend mon âme… Ô puissance salée !
Courons à l’onde en rejaillir vivant.

Oui ! Grande mer de délires douée,
Peau de panthère et chlamyde trouée,
De mille et mille idoles du soleil,
Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui te remords l’étincelante queue
Dans un tumulte au silence pareil,

Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs !
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs !

(Recueil : Charmes)
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MessageSujet: Hélène   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:09

Hélène


Azur ! c’est moi... Je viens des grottes de la mort
Entendre l’onde se rompre aux degrés sonores,
Et je revois les galères dans les aurores
Ressuciter de l’ombre au fil des rames d’or.

Mes solitaires mains appellent les monarques
Dont la barbe de sel amusait mes doigts purs ;
Je pleurais. Ils chantaient leurs triomphes obscurs
Et les golfes enfuis aux poupes de leurs barques.

J’entends les conques profondes et les clairons
Militaires rythmer le vol des avirons ;
Le chant clair des rameurs enchaînes le tumulte,

Et les Dieux, à la proue héroïque exaltés
Dans leur sourire antique et que l´écume insulte,
Tendent vers moi leurs bras indulgents et sculptés.

(Recueil : Album de vers anciens)
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MessageSujet: Naissance de Venus   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:12

Naissance de Venus


De sa profonde mère, encor froide et fumante,
Voici qu’au seuil battu de tempêtes, la chair
Amèrement vomie au soleil par la mer,
Se délivre des diamants de la tourmente.

Son sourire se forme, et suit sur ses bras blancs
Qu’éplore l’orient d’une épaule meurtrie,
De l’humide Thétis la pure pierrerie,
Et sa tresse se fraye un frisson sur ses flancs.

Le frais gravier, qu’arrose et fuit sa course agile,
Croule, creuse rumeur de soif, et le facile
Sable a bu les baisers de ses bonds puérils ;

Mais de mille regards ou perfides ou vagues,
Son œil mobile mêle aux éclairs de périls
L’eau riante, et la danse infidèle des vagues.

(Recueil : Album de vers anciens)
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MessageSujet: Au bois dormant   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:15

Au bois dormant


La princesse, dans un palais de rose pure,
Sous les murmures, sous la mobile ombre dort,
Et de corail ébauche une parole obscure
Quand les oiseaux perdus mordent ses bagues d’or.

Elle n’écoute ni les gouttes, dans leurs chutes,
Tinter d’un siècle vide au lointain le trésor,
Ni, sur la forêt vague, un vent fondu de flûtes
Déchirer la rumeur d’une phrase de cor.

Laisse, longue, l’écho rendormir la diane,
Ô toujours plus égale à la molle liane
Qui se balance et bat tes yeux ensevelis.

Si proche de ta joue et si lente la rose
Ne va pas dissiper ce délice de plis
Secrètement sensible au rayon qui s’y pose.

(Recueil : Album de vers anciens)
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MessageSujet: La fileuse   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:18

La fileuse



Lilia…, neque nent.

Assise, la fileuse au bleu de la croisée
Où le jardin mélodieux se dodeline ;
Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée.

Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline
Chevelure, à ses doigts si faibles évasives,
Elle songe, et sa tête petite s’incline.

Un arbuste et l’air pur font une source vive
Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose
De ses pertes de fleurs le jardin de l’oisive.

Une tige, où le vent vagabond se repose,
Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,
Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa rose.

Mais la dormeuse file une laine isolée ;
Mystérieusement l’ombre frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.

Le songe se dévide avec une paresse
Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,
La chevelure ondule au gré de la caresse...

Derrière tant de fleurs, l’azur se dissimule,
Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :
Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.

Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte,
Parfume ton front vague au vent de son haleine
Innocente, et tu crois languir... Tu es éteinte

Au bleu de la croisée où tu filais la laine.

(Recueil : Album de vers anciens)
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MessageSujet: Baignée   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:21

Baignée


Un fruit de chair se baigne en quelque jeune vasque,
(Azur dans les jardins tremblants) mais hors de l’eau,
Isolant la torsade aux puissances de casque,
Luit le chef d’or que tranche à la nuque un tombeau.

Éclose la beauté par la rose et l’épingle !
Du miroir même issue où trempent ses bijoux,
Bizarres feux brisés dont le bouquet dur cingle
L’oreille abandonnée aux mots nus des flots doux.

Un bras vague inondé dans le néant limpide
Pour une ombre de fleur à cueillir vainement
S’effile, ondule, dort par le délice vide,

Si l’autre, courbé pur sous le beau firmament,
Parmi la chevelure immense qu’il humecte,
Capture dans l’or simple un vol ivre d’insecte.

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MessageSujet: Les vaines danseuses   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:24

Les vaines danseuses


Celles qui sont des fleurs légères sont venues,
Figurines d’or et beautés toutes menues
Où s’irise une faible lune... Les voici
Mélodieuses fuir dans le bois éclairci.
De mauves et d’iris et de nocturnes roses
Sont les grâces de nuit sous leurs danses écloses.
Que de parfums voilés dispensent leurs doigts d’or !
Mais l’azur doux s’effeuille en ce bocage mort
Et de l’eau mince luit à peine, reposée
Comme un pâle trésor d'une antique rosée
D’où le silence en fleur monte... Encor les voici
Mélodieuses fuir dans le bois éclairci.
Aux calices aimés leurs mains sont gracieuses ;
Un peu de lune dort sur leurs lèvres pieuses
Et leurs bras merveilleux aux gestes endormis
Aiment à dénouer sous les myrtes amis
Leurs liens fauves et leurs caresses... Mais certaines,
Moins captives du rythme et des harpes lointaines,
S’en vont d'un pas subtil au lac enseveli
Boire des lys l’eau frêle où dort le pur oubli.

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MessageSujet: Valvins   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:27

Valvins

Si tu veux dénouer la forêt qui t’aère
Heureuse, tu te fonds aux feuilles, si tu es
Dans la fluide yole à jamais littéraire,
Traînant quelques soleils ardemment situés

Aux blancheurs de son flanc que la Seine caresse
Émue, ou pressentant l’après-midi chanté,
Selon que le grand bois trempe une longue tresse,
Et mélange ta voile au meilleur de l’été.

Mais toujours prês de toi que le silence livre
Aux cris multipliés de tout le brut azur,
L’ombre de quelque page éparse d’aucun livre

Tremble, reflet de voile vagabonde sur
La poudreuse peau de la rivière verte
Parmi le long regard de la Seine entr’ouverte.

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MessageSujet: Profusion du soir   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:30

Profusion du soir
Poème abandonné...


Du soleil soutenant la puissante paresse
Qui plane et s’abandonne à l’œil contemplateur,
Regard !... Je bois le vin céleste, et je caresse
Le grain mystéri-eux de l’extrême hauteur.

Je porte au sein brûlant ma lucide tendresse,
Je joue avec les feux de l’antique inventeur ;
Mais le dieu par degrés qui se désintéresse
Dans la pourpre de l’air s’altère avc lenteur.

Laissant dans les champs purs battre toute l’idée,
Les travaux du couchant dans la sphère vidée
Connaissent sans oiseaux leur ancienne grandeur.

L’ange frais de l’œil nu pressent dans sa pudeur,
Haute nativité d’étoile élucidée,
Un diamant agir qui berce la splendeur...

*

Ô soir, tu viens épandre un délice tranquille,
Horizon des sommeils, stupeur des cœurs pieux,
Persuasive approche, insidieux reptile,
Et rose que respire un mortel immobile
Dont l’œil dore s’engage aux promesses des cieux.

*

Sur tes ardents autels son regard favorable
Brûle, l’âme distraite, un passé précieux.
Il adore dans l’or qui se rend adorable
Bâtir d’une vapeur un temple mémorable,
Suspendre au sombre éther son risque et son récif,
Et vole, ivre des feux d’un triomphe passif,
Sur l’abime aux ponts d’or rejoindre la Fortune ;
— Tandis qu’aux bords lointains du Théâtre pensif,
Sous un masque léger glisse la mince lune...

*

... Ce vin bu, l’homme bâille, et brise le flacon.
Aux merveilles du vide il garde une rancune ;
Mais le charme du soir fume sur le balcon
Une confusion de femme et de flocon...


*

— Ô Conseil !... Station solennelle !... Balance
D’un doigt doré pesant les motifs du silence !
Ô sagesse sensible entre les dieux ardents !
— De l’espace trop beau, préserve-moi, balustre !
Là, m’appelle la mer !... Là, se penche l’illustre
Vénus Vertigineuse avec ses bras fondants !

*

Mon œil, quoiqu’il s’attache au sort souple des ondes,
Et boive comme en songe à l’éternel verseau,
Garde une chambre fixe et capable des mondes ;
Et ma cupidité des surprises profondes
Voit à peine au travers du transparent berceau
Cette femme d’écume et d’algue et d’or que roule
Sur le sable et le sel la meule de la houle.


*

Pourtant je place aux cieux les ébats d’un esprit ;
Je vois dans leurs vapeurs des terres inconnues,
Des deesses de fleurs feindre d’être des nues,
Des puissances d’orage d’errer a demi nues,
Et sur les roches d’air du soir qui s’assombrit,
Telle divinité s’accoude. Un ange nage.
Il restaure l’espace à chaque tour de rein.
Moi, qui j’ette ici-bas l’ombre d’un personnage,
Toutefois délié dans le plein souverain,
Je me sens qui me trempe, et pur qui me dédaigne !
Vivant au sein futur le souvenir marin,
Tout le corps de mon choix dans mes regards se baigne !

*

Une crête écumeuse, énorme et colorée,
Barre, puissamment pure, et plisse le parvis.
Roule jusqu’à mon cœur la distance doree,
Vague !... Croulants soleils aux horizons ravis,
Tu n’iras pas plus loin que la ligne ignorée
Qui divise les dieux des ombres où je vis.

*

Une volute lente et longue d’une lieue
Semant les charmes lourds de sa blanche torpeur
Où se joue une joie, une soif d’être bleue,
Tire le noir navire épuisé de vapeur...

*

Mais pesants et neigeux les monts du crépuscule,
Les nuages trop pleins et leurs seins copieux,
Toute la majesté de l’Olympe recule,
Car voici le signal, voici l’or des adieux,
Et l’espace a humé la barque minuscule...


*

Lourds frontons du sommeil toujours inachevés,
Rideaux bizarrement d’un rubis relevés
Pour le mauvais regard d’une sombre planète,
Les temps sont accomplis, les desirs se sont tus,
Et dans la bouche d’or, bâillements combattus,
S’écartèlent les mots que charmait le poète...
Les temps sont accomplis, les desirs se sont tus.


*

Adieu, Adieu !... Vers vous, ô mes belles images,
Mes bras tendent toujours insatiable port !
Venez, effarouchés, hérissant vos plumages,
Voiliers aventureux que talonne la mort !
Hâtez-vous, hâtez-vous !... La nuit presse !... Tantale
Va périr ! Et la joie éphémère des cieux !
Une rose naguère aux ténèbres fatale,
Une toute dernière rose occidentale
Pâlit affreusement sur le soir spacieux...
Je ne vois plus frémir au mât du belvédère
Ivre de brise un sylphe aux couleurs de drapeau,
Et ce grand port n’est plus qu’un noir débarcadère
Couru du vent glacé que sent venir ma peau !

Fermez-vous ! Fermez-vous ! Fenêtres offensées !
Grands yeux qui redoutez la véritable nuit !
Et toi, de ces hauteurs d’astres ensemencées,
Accepte, fécondé de mystère et d’ennui,
Une maternité muette de pensées...

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MessageSujet: Anne   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:38

Anne

À André Lebey.


Anne qui se mélange au drap pâle et délaisse
Des cheveux endormis sur ses yeux mal ouverts
Mire ses bras lointains tournés avec molesse
Sur la peau sans couleur du ventre découvert.

Elle vide, elle enfle d’ombre sa gorge lente,
Et comme un souvenir pressant ses propres chairs,
Une bouche brisée et pleine d’eau brûlante
Roule le goût immense et le reflet des mers.

Enfin désemparée et libre d’être fraîche,
La dormeuse déserte aux touffes de couleur
Flotte sur son lit blême, et d’une lèvre sèche,
Tette dans la ténebre un souffle amer de fleur.

Et sur le linge où l’aube insensible se plisse,
Tombe, d’un bras de glace effleuré de carmin,
Toute une main défaite et perdant le délice
À travers ses doigts nus denoués de l’humain.

Au hasard ! À jamais, dans le sommeil sans hommes
Pur des tristes éclairs de leurs embrassements,
Elle laisse rouler les grappes et les pommes
Puissantes, qui pendaient aux treilles d’ossements,

Qui riaient, dans leur ambre appelant les vendanges,
Et dont le nombre d’or de riches mouvements
Invoquait la vigueur et les gestes étranges
Que pour tuer l’amour inventent les amants.

*

Sur toi, quand le regard de leurs âmes s’égare,
Leur cœur bouleversé change comme leurs voix,
Car les tendres apprêts de leur festin barbare
Hâtent les chiens ardents qui tremblent dans ces rois...

À peine effleurent-ils de doigts errants ta vie,
Tout leur sang les accable aussi lourd que la mer,
Et quelque violence aux abîmes ravie
Jette ces blancs nageurs sur tes roches de chair...

Récifs délicieux, Île toute prochaine,
Terre tendre, promise aux démons apaisés,
L’amour t’aborde, armé des regards de la haine,
Pour combattre dans l’ombre une hydre de baisers !

*

Ah, plus nue et qu’imprègne une prochaine aurore,
Si l’or triste interroge un tiède contour,
Rentre au plus pur de l’ombre où le Même s’ignore,
Et te fais un vain marbre ébauché par le jour !

Laisse au pâle rayon ta lèvre violée
Mordre dans un sourire un long germe de pleur,
Masque d’âme au sommeil à jamais immolée
Sur qui la paix soudaine a surpris la douleur !

Plus jamais redorant tes ombres satinées,
La vieille aux doigts de feu qui fendent les volets
Ne viendra t’arracher aux grasses matinées
Et rendre au doux soleil tes joyeux bracelets...

Mais suave, de l’arbre extérieur, la palme
Vaporeuse remue au delà du remords,
Et dans le feu, parmi trois feuilles, l’oiseau calme
Commence le chant seul qui réprime les morts.

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MessageSujet: L'amateur de poèmes   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:41

L'amateur de poèmes

SI je regarde tout à coup ma véritable pensée, je ne me console pas de devoir subir cette parole intérieure sans personne et sans origine ; ces figures éphémères ; et cette infinité d’entreprises interrompues par leur propre facilité, qui se transforment l’une dans l’autre, sans que rien ne change avec elles. Incohérente sans le paraître, nulle instantanément comme elle est spontanée, la pensée, par sa nature, manque de style.
MAIS je n’aipas tous les jours la puissance de proposer à mon attention quelques êtres nécessaires, ni de feindre les obstacles spirituels qui formeraient une apparence de commencement, de plénitude et de fin, au lieu de mon insupportable fuite.
UN poème est une durée, pendant laquelle, lecteur, je respire une loi qui fut préparée ; je donne mon souffle et les machines de ma voix ; ou seulement leur pouvoir, qui se concilie avec le silence.
JE m’abandonne à l’adorable allure : lire, vivre où mènent les mots. Leur apparition est écrite. Leurs sonorités concertées. Leur ébranlement se compose, d’après une méditation antérieure, et ils se précipiteront en groupes magnifiques ou purs, dans la résonance. Même mes étonnements sont assurés : ils sont cachés d’avance, et font partie du nombre.
MU par l’écriture fatale, et si le mètre toujours futur enchaîne sans retour ma mémoire, je ressens chaque parole dans toute sa force, pour l’avoir indéfiniment attendue. Cette mesure qui me transporte et que je colore, me garde du vrai et du faux. Ni le doute ne me divise, ni la raison ne me travaille. Nul hasard, mais une chance extraordinaire se fortifie. Je trouve sans effort le langage de ce bonheur ; et je pense par artifice, une pensée toute certaine, merveilleusement prévoyante, — aux lacunes calculées, sans ténèbres involontaires, dont le mouvement me commande et la quantité me comble : une pensée singulièrement achevée.

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MessageSujet: L'abeille   Paul Valery EmptyLun 9 Mar - 18:48

L'abeille


Quelle, et si fine, et si mortelle,
Que soit ta pointe, blonde abeille,
Je n’ai, sur ma tendre corbeille,
Jeté qu’un songe de dentelle.

Pique du sein la gourde belle,
Sur qui l’Amour meurt ou sommeille,
Qu’un peu de moi-même vermeille,
Vienne à la chair ronde et rebelle !

J’ai grand besoin d’un prompt tourment :
Un mal vif et bien terminé
Vaut mieux qu’un supplice dormant !

Soit donc mon sens illuminé
Par cette infime alerte d’or
Sans qui l’Amour meurt ou s’endort !

(Recueil : Charmes)
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