AVANT QUE LE TOCSIN...
Il y a bien longtemps, j’ai déserté la terre
Où, hélas, mes parents n’ont connu que tourments.
Pourtant, si ont passé autant d’années lumières,
Je n’aspire, à présent, qu’à revivre l’antan.
Si j’ai vécu ailleurs jusqu’à l’ultime angoisse,
Toute ma vie durant, j’ai rêvé d’en partir
Et retrouver, là-bas, les voix, les pas, les traces
Que j’ai laissé, jadis, avant de les dédire.
Puis, j’ai vu la maison de mes jeunes années,
J’ai foulé, à nouveau, les trottoirs de ma ville,
Et mes sanglots ont point aux souvenirs scellés
Dans ma tête et mon cœur : tous mes jeux puérils…
Et, malgré ma venue dans ces lieux innommables
Où tant d’êtres meurtris ont péri dans ce camp,
Malgré mon désarroi devant l’insoutenable,
Je veux, comme un poisson, remonter le courant
Pour frayer, à nouveau, au lit de la rivière,
Celle-là où, jadis, j’ai fait mes premiers pas,
Y rebaigner ma vie en domptant ma colère,
Endiguant tout le fiel qui coulait jusque là.
Aujourd’hui, on est deux à vouloir s’en aller
Et l’amour qui nous lie : le feu de ma ferveur,
Avant que le tocsin ne s’en vienne à sonner,
Je veux qu’encor nos vies prennent d’autres couleurs :
L’orangé des couchants et les bleus de la mer,
L’indigo des matins, de la neige le blanc,
Avant d’abandonner nos vérités dernières
A l’étreinte empressée et avide du temps,
Sous les cieux tout brillants de la voûte étoilée,
Qu’en des champs labourés en chemins de traverse,
Nous parcourions encore un peu la voie d’aimer
Pour en cueillir les fleurs, tout le temps qui nous reste.