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 Ronds d'eau bleue à la turque...

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Pascal9
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Pascal9


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MessageSujet: Ronds d'eau bleue à la turque...   Ronds d'eau bleue à la turque... EmptyLun 27 Nov - 12:11

Ronds d’eau bleue à la turque…



La huitième arche sur la place, face au marché de Galatasaray, supportait une enseigne : surchargée en forme de reliure. Eh ! Je vous prie de croire qu’il les surveillait, porte par porte, les échoppes de Cukurcuma ! Certains jours, sa patience s’étiolait comme celle d’un enfant capricieux. Il épiait, en transpirant, les ruelles sombres des bouquinistes : avait-il dix ou cent fois parcouru les alentours ? Sous l’œil indifférent des restaurateurs, dans l’odeur épicée et chaude des meyhanes, comme l’Imroz ou le Boncuk… Une multitude de fois agité la photographie froissée : « Pas vu ? Non… jamais vu… »
Enfin, Hülya arriva, très nerveuse elle aussi.
« Tu l’as vu ? »
L’étranger hocha la tête négativement et soupira très fort en signe d’abandon.
« Mais où se cache-t-il ? dit-elle excédée, gênée de se donner en spectacle.
-A l’abri ! Mais…
À nouveau, il soupira.
« Qu’y a-t-il ?
Plus de planque, ma belle ! Oh non plus jamais, par cette chaleur… Ce type est le diable… »
Puisqu’ils ne pourraient jamais localiser David Warren Brubeck précisément, il pensa qu’il fallait lui tendre un piège. Après tout, c’était un homme comme tant d’autres…

David Warren, lui, n’était pas un type ordinaire. On lui avait affirmé avec conviction que, lorsqu’il serait adulte, il serait un prédateur… Pourquoi pas ! Et que les endroits qu’il fréquenterait, les atmosphères, les climats… Longtemps après, en seraient définitivement transformées. Lui aussi, d’ailleurs ! Et ce serait bien probable qu’à, un moment ou un autre, il deviendrait l’objet de ressentiment voire d’animosité… Une existence insolite…
« Comment ? D’un de mes admirateurs ?
- Ce n’est pas impossible, oui, c’est tout à fait envisageable !
- Absurde.
- Tellement absurde que, par exemple… Au fait ! Te souviens-tu seulement de ce qui est arrivé à ton piano ?
- Oui, il a brûlé mystérieusement, l’été dernier…
- Bon. Mais ton accompagnateur…
- Lequel ? Desmond ou Morello ? Desmond est parti à Cincinnati. Morello s’est enfui l’année dernière, en prétendant ne plus pouvoir suivre et s’est réfugié je ne sais où… Wright a été pris pour un engagement avec Mulligan, il y aura six mois à Noël. »
David Warren possédait le don… Et c’était effrayant pour les autres…
« Hé ! Poursuivait Dave, vous ne me ferez pas avaler que vous tous, vous supposez de telles balivernes et que… Vous auriez peur ! »
En silence, son entourage s’éloignait, la mine soucieuse. En vérité Dave Brubeck était d’une autre planète…

L’étranger et la jeune fille discutèrent un moment entre le choix des quartiers Balat et Hasköy, Le pont à deux étages fonctionnait de façon maladroite et semblait devoir chuter dans les eaux agitées.
- Eh ! Tu as parcouru tout Galata, sans succès… Cesse de souffler comme une vieille forge… Regarde sur l’autre rive !
L’homme en nage, d’abord irrité, puis de plus en plus à l’affût, regardait cette foule bigarrée vaquer sans hâte excessive à ses occupations familières.
Et, tout d’un coup, ils le virent : L’homme portait des lunettes d’écaille et ils l’observèrent en retenant leur souffle – Sur la rive encombrée, sa silhouette se découpait par intermittence, ombres et lumières… Sur les eaux, les vapur, ces autobus de la mer, se croisaient sans relâche, le trafic était dense… Ils craignaient de le perdre à nouveau…
« Le voilà… »
Hülya pensa d’abord courir après cette ombre, lui dire qu’ils ne lui voulaient aucun mal : qu’ils voulaient simplement lui poser quelques questions, assis tous ensemble à une terrasse… Lui faire dire son « secret », comprendre, enfin cette particularité fascinante d’accélérer le temps…
Mais la foule était de plus en plus compacte. Et quant à faire entendre raison à cette silhouette fuyante. Il ne fallait même pas y songer… Peut-on ralentir le tempo ?
Hülya feignit donc le détachement. Elle observa, les yeux plissés d’attention, et écouta ce que lui dictaient sa conscience et sa longue habitude d’Istanbul.
« Ici, rien n’est comme à Paris, ici commence l’orient et ses paradoxes… » Pensa-t-elle. Après tout que l’étranger se débrouille, tout cela ne me regarde pas… »

Alors, la poursuite s’engagea interminablement : les poubelles de Galata, la banque Ottomane, le passage Salonique, Cihangir – c’était un monde neuf. On abordait une nouvelle fois les rives du Bosphore charriant des vagues lourdes et lentes… L’heure était entre chien et loup, en dégradés d’orange sur les berges désertées…
L’étranger courut beaucoup. Dans un bief enfin, il put rejoindre sa cible… L’écume aux lèvres… David Warren se retourna en souriant… Il semblait calme et étonnamment frais… Une badine à la main, il fouettait les roseaux environnants… Son poursuivant s’approcha, ouvrant déjà la bouche pour une question… Peine perdue… D’une poussée longue et appuyée, David Warren le projeta dans les eaux troubles du Bosphore et se mit à courir en éclatant de rire…

L’eau n’était pas froide, mais l’humiliation elle, était glacée… L’étranger but une gorgée d’eau saumâtre et s’étrangla un peu, parvenu à la surface, il sentit une main ferme l’aggriper par la manche…
Un petit homme trapu était sur la rive et le considérait d’un air narquois…
« Alors, l’ami, il est déjà tard pour un bain dans le Bosphore… »
Le ton était chantant, rocailleux, un accent du sud ouest de la France, incongru, sur les rives du fleuve Ottoman…
- Crois-moi, ami, jamais tu n’attraperas Brubeck… Il est insaisissable… Je l’ai déjà approché une fois, mais il est dans l’éternelle fuite, même mon copain Godard s’y est cassé les dents, naguère, oublie ton fantasme… Tu n’attraperas jamais Brubeck… Autant vouloir saisir d’une main les ronds dans l’eau que provoque une pierre… »

Cette semaine-là, en allant chercher son courrier à la boîte, Hülya trouva dans le tas de lettre, un petit mot griffonné à la hâte. Quelques notes bleues dessinées à l’encre pâle et en travers : Merci, Dave Brubeck…
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