Je vais brûler
« Il faut brûler » dit rassuré, le petit gamin !
Ma vie de misère parmi les miens a chaviré.
Je dois partir, j’ai à faire un long chemin.
Ma souffrance de tous les jours a trop duré.
J’ai brûlé, je brûle toujours, je brûlerai,
A Naples, à Palerme ou à Venise
Peu importe où vais-je demain amarrer
A Valence, tout près de Rome ou même à Pise !
Je brûlerai avec tous mes copains
Ceux qui, chaque soir, n’arrivent pas à dormir
Je brûlerai en naviguant comme un marin
Et là-bas, dès l’arrivée, je me mets à bâtir.
Je bâtirai des autoroutes et de hauts balcons
Avec mes ongles, je leur construirai des toilettes
Je cesserai d’entendre leurs insultes et leurs jurons
Je me résignerai à ne manger que des miettes
J’élèverai leurs buildings avec fureur
Auxquels j’accrocherai les plus belles enseignes
Je les vernirai dignement avec ma sueur
Et avec du goût je les dessine et je les peigne
J’exécuterai toutes leurs consignes
Exactement comme leur fidèle serviteur
Je n’arrêterai de les qualifier de personnes dignes
De respect, de bravoure et d’honneur
Ces gens-là me sont inconnues et étrangères
Mais elles m’ont offert estime et liberté
Avec elles je suis respecté et désormais fier
Avec elles je commence à retrouver ma dignité
Chez « les infidèles » j’ai trouvé tout mon droit
J’ai retrouvé chez eux, même une famille
Blasphèmerai-je si je me mets à aimer la croix
Blasphèmerai-je si, avec vigueur, je défends ma vie
J’ai brûlé, nous brûlerons tour à tour
Nous avons juré de ne jamais cesser cette bataille
Et de ne jamais y renoncer que lorsqu’un jour
On nous reconnaîtra le droit à la liberté et au travail
La dignité, l’honneur, la différence
La culture, le bien être, le savoir faire
Tout ce qui nous réconcilie avec notre enfance
Pour tout dévoiler et refuser à jamais de se taire.
Noureddine Ichaoui
Tunisie, Kasserine, juillet 2006
brûler : en arabe, désigne voyager clandestinement par la mer vers une destinée donnée.