
Il y a si longtemps que l'on parle des roses et toi aussi Imagine tu en parles bien

...
Durant cette saison belle
Du renouveau gracieux,
Lorsque tout se renouvelle
Plein d'amour délicieux,
Ny par la peinte prérie,
Ny sus la haye fleurie,
Ny dans le plus beau jardin,
Je be voy fleur si esquise
Que plus qu'elle je ne prise
La Rose au parfum divin.
Mais la blanche ne m'agrée
Blême de morte paleur,
Ny la rouge colorée
D'une sanglante couleur.
L'une de blêmeur malade,
Et l'autre de senteur fade
Ne plêt au nés ny à l'oeil :
Toutes les autres surpasse,
Celle qui vive compasse
De ces deux un teint vermeil.
La Rose incarnate est celle
Où je pren plus de plaisir :
Mais combien qu'elle soit telle
Si la veu-je bien choisir.
Car l'une prise en une heure,
Et l'autre en l'autre est meilleure
Au chois de nostre raison.
Toute chose naist, define,
Tantôt croît et puis decline
Selon sa propre saison.
Je ne forceray la Rose
Qui cache dans le giron
D'un bouton étroit enclose
La beauté de son fleuron.
Quelque impatient la cueille
Devant que la fleur vermeille
Montre son trésor ouvert.
Mon désir ne me transporte
Si fort que celle j'emporte
Qui ne sent rien que le verd.
Jan Antoine de Baïf (1532-1589)
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