ALICE NAHON, 1896-1933
À la mémoire de Simonne-Catherine LEËN, 1928-2010, décédée le 5 août 2010, sans sa précieuse aide, ces traductions n'auraient jamais vu le jour.
AVONDLIEDEKE I
Petite chanson du soir ILe soir mes pensées deviennent
Un jardinet mystérieux
Où les fleurs se penchent vers l’occident
Où chaque oiseau s’est endormi
Le soir le monde devient plus petit
et plus proche le lointain passé...
Ceux qui sont seuls deviennent plus solitaires,
Et ceux qui s’aiment se rapprochent
Le soir elle pèse sur mon silence
Cette belle douleur humaine
Cette envie de recevoir une parole douce et affectueuse
et d’être nous-mêmes gentils pour quelqu’un
(Alice Nahon, in
Op zachte vooizekens, 1921)
AVONDLIEDEKE III
Petite chanson du soir III, C’est bien d’examiner son coeur
Juste avant d’aller dormir
Car depuis l’aurore jusqu’au soir
Ai-je blessé un autre coeur ?
N’ai-je point fait pleurer d’autres yeux ?
N’ai-je point semé de la mélancolie sur un autre visage ?
Et à des gens sans amour
Ne leur ai-je point murmuré un petit mot d’amour ?
Et si je découvre dans la maison de mon coeur
Que j’ai pu apaiser une souffrance
Et que j’ai pu entourer de mes bras
Une seule tête solitaire
Alors je ressens sur mes jeunes lèvres
Cette bonté comme un baiser du soir...
C’est bien d’examiner son coeur
Juste avant d’aller dormir
(Alice Nahon, in
Op zachte vooizekens, 1921)
GELOOF
FoiIl y a du rêve dans tes yeux
Quand tu regardes le ciel
Il y a des chants dans tes soupirs
Si loin du chagrin
Il y a de l’apaisement dans ta voix
Une consolation que rarement j’ai trouvée
Dans des mots qui jaillissent
D’une bouche humaine
Il y a de l’allégresse dans ta joie
Et si de temps en temps tu sanglotes
Alors rigole à travers tes larmes
Tant d’abnégations
Ô Amour, dis-moi de ta voix douce
N’est-ce point, peut-être, un lointain mirage
De l’infinie volupté
D’être si près de Lui ?
(Alice Nahon, in
Vondelingskens, 1920)
MIST
BrouillardCe jour pareil à un homme fatigué
Qui longe une rue grise et calme
Ne supportant plus sa douleur
Mais qui, malgré tout, se refuse à pleurer
Sur des chemins cahoteux plane
Un voile d’indifférence
Comme une femme qui se donne sans amour
Et quitte sans regret
Il pointe un peu de soleil-lumière
À travers un maussade rideau-brouillard
Une âme qui n’est pas tellement triste
Sans toutefois pouvoir être heureuse
J’ai peur devenir moi-même
Pareil à ce jour sombre
Un enfant qui jamais ne se rebiffe
Mais incapable de chanter pour toujours
(Alice Nahon, in
Op zachte vooizekens, 1921)
MOLME BOOM
Arbre vermouluQui aura de l’estime pour toi ?
Lépreux du pied
Qui creuse dans la pourriture
Profondément avec tes racines
Les soirs tu grimpes encore
Le long des petites échelles de feuilles
Et au-delà de tes misères
Tu parles avec les étoiles
Qui aura de l’estime pour toi ?
Homme exclu
Qui chancelle et vagabonde avec ta honte
Jusqu’à la dernière frontière
Pendant que notre inhumanité
Ourle ton manteau de péchés
Tandis que toi le long de sentiers marécageux
Tu rêves de grand-route blanche
Qui aura de l’estime pour toi ?
Seulement Dieu et quelques rares personnes
Ah si tout le monde connaissait
Les regards secrets
Des recoins louches et ténébreux du cœur
Où se cachent les petites échelles
Qui mènent vers l’amour de Dieu
(Alice Nahon, in
Schaduw, 1928)
ROZENKNOP
Bouton de RoseJe n’aime pas les roses en fleurs
Qui ont vidé leur coeur
Et qui à l’ouverture
De leur fragile volupté
Pleurent leur première larme mortelle
Je préfère les voir porter en attendant
Ce qu’un bouton cache en s’ouvrant
La douce somnolence
D’un si suave désir
Qu’une autre rose peut ressentir
Car à travers chaque bonheur sanglote
Crépuscule de tristesse
Comme un amour
Connu de nous deux seulement
Et qui reste secret et inavoué
Amour protège-moi et éloigne-moi toujours
Des flammes de ton immense brasier
Car c’est la passion
Des baisers du soleil
Qui fait mourir une rose...
(Alice Nahon, in
Vondelingskens, 1920)