Mots d'art & Scénarios
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 Yellow Cross Hills Station : 1 semaine d'arrêt

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2 participants
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Pascal9
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Pascal9


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Age : 64
Localisation : Flandre
Date d'inscription : 20/12/2004

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MessageSujet: Yellow Cross Hills Station : 1 semaine d'arrêt   Yellow Cross Hills Station : 1 semaine d'arrêt EmptyVen 11 Fév - 4:25

Yellow Cross Hills Station : Une semaine d’arrêt.


La gare, après la sortie du tunnel. C’était la seule indication que m’avait laissée Freddy dans sa lettre lorsqu’il était parti des Appalaches avec son compagnon.
Tout y était petit, petit le bâtiment principal, petit le bar voisin, silencieux les oiseaux des collines ; surtout en cette fin d’automne.
Je me rappelais que mon frère avait écrit cette lettre, deux ans auparavant. Et, quand je pensais aux événements qui avaient précédés son départ, j’avais la nette impression que tout cela s’était déroulé il y a plusieurs siècles…
J’étais arrivé depuis deux jours.
Un matin où j’étais sorti très tôt de l’unique hôtel, je fis la connaissance du compagnon de voyage de Freddy, affalé sur trottoir, il était saoûl…
J’ai appris depuis que c’était là son état habituel. D’abord, il m’envisagea sans faire plus attention, enfin, hochant la tête, il me dit :
-« Comme çà, voilà le grand frère, le bon docteur Thimothy Clay ,
voilà un nom bien honnête, bien qu’il renifle quelque peu son homme de Louisiane. Vous êtes venu vous perdre dans les Rocheuses ? »
-« Je recherche la trace de mon frère : Freddy… »
-« Freddy Clay, un sacré coureur de chemins, on a fait un bout de route ensemble, nous nous sommes rencontrés dans un infâme troquet près des Monts Ozark, puis on a continué à bourlinguer de cuite en cuite… »
-« Où est-il ? »
- « Disparu, depuis plus d’un an, il s’est embringué avec une bande d’allumés qui l’ont embarqué avec eux, un soir qu’ils étaient plus ivres que d’habitude, comme çà,d’un seul coup. Adieu Jeffreys. Crise de conscience… Trop pollué par le bon esprit de la Nouvelle Orléans. »
L’instant d’après, il n’était plus avec moi, il monologuait, au milieu de la rue, sur les foutus poètes nantis, et l’esprit bourgeois bohème de Greenwich Village… Tout un fatras de discours lubrifiés au mauvais bourbon…
Il disparut de la circulation pendant quelques temps, après m’avoir « emprunté » vingt dollars.
J’appris par le patron du bar que Freddy, la veille du jour de l’An, avait rencontré une bande de bûcherons qui confondant patriotisme et mauvaise gnôle, parlaient haut et fort de s’enrôler pour le Vietnam, ce bourbier qui n’en finissait plus… Il les avait suivi par un sursaut de fierté, il avait beaucoup bu aussi ce soir là, mais il n’était pas ivre. Depuis plus de nouvelles, ni de Freddy, ni des bûcherons… Certains avaient écrits avant la grande offensive du Têt, mais depuis, plus rien…
A quelques jours de là, Jeffreys refit son apparition. Il occupait, en temps ordinaire, une chambre chez une veuve du patelin, Madame Scipio, mais ne l’habitait guère, perpétuellement en ballade on ne savait où. Il se donnait pour écrivain et poète, il était plutôt ivrogne.
Il pénétra dans l’hôtel où je prenais mon petit-déjeuner. Il paraissait tout aussi ivre qu’à son habitude.
- « Qu’attends-tu de moi, maintenant ? »
Ses perpétuelles divagations me fatiguaient mais aujourd’hui, j’avais décidé d’être patient…
- « Pas autre chose que ce que vous m’avez déjà donné, monsieur Clay. »
Il me tendit un petit calepin noir.
- « Il n’y a pas grand-chose de noté, mais, par contre, j’ai des idées là, (Il se tapota le front, de l’index), il faut simplement que la forme revienne… »
- « Cesse de boire, tu pourras y voir clair… »
- « Vous êtes en colère. Comme Madame Scipio. Je suis fatigué, les gens n’ont plus confiance. Plus d’amis… Plus d’ennemis, non plus d’ailleurs ! Je n’aime pas être ainsi. Mais c’est l’esprit qui est foutu, il faut accepter cette souffrance. Il me faut lui ouvrir ma porte. P… la souffrance, nul ne peut savoir, ni rien comprendre… »
Il parut se noyer dans ses propres sanglots.
- « J’aimerai en savoir davantage… Sur le départ de Freddy, sur vous, dis-je pour le calmer. Pourquoi êtes-vous arrivé ici ? »
Son visage se ferma soudain. Il brandissait un porte feuille et en sortit une carte d’identité militaire crasseuse.
- « Tenez, prenez, je n’aime pas les flics ! »
Il me tendait ses papiers froissés et, de nouveau, j’observai son visage. Le regard vaseux qui me fixait recélait une misère totale et de l’effroi. Cet homme vomissait peut-être ses contemporains pour peu qu’il les fréquentait, mais il avait dû aimer son semblable avec une ardeur farouche. Ses vêtements étaient sales et ses cheveux, crasseux de poussière le vieillissaient davantage. Pourtant, paradoxalement, le port de tête restait fier et l’attitude indiquait une espèce de grandeur d’âme incongrue. C’était le portrait d’un homme au destin démantelé.
- « Mon frère... » Me dis-je, et un court instant, j’eus la sensation heureuse de le revoir. Malgré la différence d’accoutrements, je le retrouvai en Jeffreys.
Il reprit sa carte et la rangea.
- « Cette carte ne me sert plus à rien, dit-il. Je voudrais tellement qu’on me laisse tranquille et pouvoir boire ce que je veux. Ma bouche est sèche comme vos âmes dont vous n’avez nul besoin, ce qui me donne de l’assurance, c’est ce mauvais bourbon…
Hemingway, Faulkner… Au secours… Mais non, pas vrai, pas un génie de la littérature Jeffreys, juste un banal ivrogne de patelin… Jeffreys Larning, venu du Maine, via Le Sud Est Asiatique ! A t-il jamais pensé devenir un raté de plus dans la poussière des campagnes américaines !? »
-« Vous avez été démobilisé quand ? Il y a plus de trois ans non ? Blessé ? »
Jeffreys pouffa d’un rire plein de toute la folie du monde.
- « Blessé ! Ah ! Blessé… Ouais ! En quelque sorte… Des blessures qui ne font pas saigner, non mais qui vous bouffent jusqu’au bout… Déserteur… Foutu le camp de ce B…, embarqué sur un rafiot pourri, cargo Panaméen… Encore pire que les combats… Traîné partout jusqu’au Maine, mon père m’a viré, la patrie tout ça, c’est désordre… J’ai rencontré Freddy sur la route, et puis, voilà, Yellow Cross Station… Pas pu continuer plus loin, sais pas pourquoi… »
- « Mais avant ? »
- Avant ! Mais il n’y a jamais eu d’avant ! C’était dans un autre monde, une autre vie, la littérature à l’université… J’ai toujours déserté finalement, je n’ai jamais rien osé envoyer aux éditeurs ! »
- « Je suppose que tu as pensé à te protéger, cela ne fait pas de toi quelqu’un de mauvais… »
- « Je le suis, et fainéant bien davantage… »
Cette phrase était pour lui le bilan de son existence et je ne trouvai rien à ajouter.
- « C’est égal, reprit-il. Il est dangereux et inutile de revenir sur le passé. Le présent est à vivre et même à mourir. J’ai une soif d’enfer, Doc…. »
Il resta un bon moment silencieux à rêvasser et j’attendis, consterné et un peu gêné. Je regardai la gare, je retrouvai les murs de planches et les éternels sapins. De petites fenêtres à croisillons donnaient un jour terne. Plus bas, la voie s’allongeait sur les Rocheuses. Partout, disposées sur les flancs et les contreforts, on trouvait de petites fleurs mauves amenées par le vent du Sud au cours de son voyage.
J’arrêtais mon regard sur le quai abritant un groupe d’ouvriers de la mine voisine. Plus loin, vers le tunnel, je vis un phare jaune et énorme en mouvement avant d’entendre le bruit sourd de Diesel d’une motrice de l’Union Pacific.
Parmi tous ces hommes, je ne vis aucun signe de ces ridicules individus de patelins que décrivaient volontiers Jeffreys. Peut-être, finalement Larning buvait-il beaucoup trop ? Et profitait-il du fait que j’étais devenu son interlocuteur privilégié ? Je repoussai cette idée navrante et poursuivi mon tour d’horizon.
Les cloisons de bois étaient décorés de photographies en couleurs représentant des paysages de Floride : la plage de sable rose éclatante de soleil sur l’océan cobalt ; un marais des Everglades, un élevage d’alligators. C’était là, sans nul doute, les souvenirs du patron de l’endroit, originaire de Miami. Je me demandais ce qu’un type de Floride était venu faire à Yellow Cross Hills, certainement la même chose que Freddy, rien de spécial, attendre…
- « J’ai décidé quelque chose, dit soudain Jeffreys d’une voix enrouée. Il y a une ou deux choses que vous pourriez faire pour moi. Tout de suite… »
Je me méfiai, l’esprit en alerte… Mais répondit néanmoins :
- « Je t’écoute, Larning. »
- « D’abord, vous allez me refiler deux cents dollars ». Son ton était las, si fatigué… « Je vais pouvoir quitter ce trou et aller dans le Maine, chercher un éditeur. Je lui montrerai mon manuscrit dans l’état, pour pouvoir discuter de mon projet. Ensuite, vous pourriez peut-être appeler mes vieux là-bas… Et leur expliquer. Quoi… Je peux essayer de redevenir quelqu’un… Avec de faux papelards….Je ne sais pas…Vous voulez bien Doc… »
Je poussai un soupir. L’idée d’être venu chercher mon frère pour le ramener à la maison m’avait toujours semblé utopique, mais la perspective de m’occuper de Jeffreys me parue assez curieuse, un tel geste me semblait particulièrement significatif, un peu comme un signe du destin et je ne pensais pas le moins du monde à la désapprobation de ma propre famille.
J’ignorais quelles étaient ses chances mais, je supputais qu’il ne dépasserait même pas les frontières de l’état. Ce que je pensais de l’avenir de Larning était plus effrayant.
- « D’accord, Jeffreys, Je vais vous aider… »
Il parut avoir des difficultés à saisir le sens de mes paroles.
- « C’est vrai Doc ? »
- « Je vais vous donner de l’argent, vous allez vous retaper un peu, et je téléphonerai à vos parents, mais attention, si vous me mentez , pour continuer l’unique chose qui vous tuera, l’alcool, vous n’irez nulle part. Vous vous saoulez à mort, et je pars tout de suite… »
Je vis sa silhouette trembler tandis que son visage palissait sous son bonnet.
Il déclara enfin :
- « Bien vu, monsieur Clay, vous me connaissez bien mieux que je ne le soupçonnais… »
Il repoussa son tabouret et se levait. Il titubait encore, toute son angoisse contenue… »
- « Bon, je vais partir. Maintenant, il faut que je quitte cet endroit. Le petit carnet, je vous le laisse, on ne sait jamais. Comment quelqu’un comme vous peut-il devenir l’ami d’un type comme moi ? Vous êtes comme Freddy… Oui, tout comme lui…Je l’avais prévenu… Mais… Foutez le camp d’ici, Doc… »
Il claqua la porte et s’éloigna vers le quai.
*

D’épais nuages arrivaient des Rocheuses et obscurcissaient la vallée. Je pensai aux jours passés ici et à ce que j’y avais appris. Je me préparai doucement à reprendre le train dès le lendemain pour la Nouvelle Orléans. J’avais essayé de contacter la famille de Jeffreys, sans résultats, en désespoir de cause, j’avais laissé un message plutôt maladroit sur le répondeur téléphonique… Quelque chose me disait bizarrement que je ne reverrai jamais plus Freddy Clay Junior…

*

Je sirotai un énième café lorsque le patron me tendit le combiné du téléphone :
- « Allo ! Tim, c’est Papa ! »
Un silence douloureux suivit, silence qui n’en finissait pas.
- « Tim, tu peux rentrer en Louisiane, maintenant, l’armée est venue nous voir, tôt, ce matin… »
- « Oui, Pa… »
- « Le G.I., Frédéric Clay Junior est tombé devant Da Nang, son hélicoptère a été abattu par les Vietcongs lors d’une mission de reconnaissance, tout l’équipage y est resté… Tim ?
- « Oui… »
- « Tu m’entends ? »
- « Oui, je vais rentrer demain, Papa, J’ai pas mal de boulot qui m’attend… Je pense aller dans le Maine, une de ces prochaines semaines… »
La tonalité neutre me répondit et je laissai le combiné posé sur le bar.
J’allais faire mon sac.

*

L’énorme motrice jaune s’arrêta dans un crissement de ferraille.
-« Yellow Cross Hills Station! Dix minutes d’arrêt! ”
Seuls, les lampes et quelques voyageurs donnaient l’illusion de la vie. La neige n’allait plus tarder à tomber, dans un mois tout serait blanc, comme un linceul.
Le train allait repartir lorsque j’avisai la voiture de la police du Comté.
J’ouvris la fenêtre de mon compartiment et demandai aux gars sur le quai :
« Eh ! Les gars, que se passe-t-il ? »
- « Un type qui s’est pendu à l’entrée du tunnel, Larning, vous savez, l’ivrogne à moitié fou, qui se baladait sans arrêt »
La locomotive de l’Union Pacific démarra. La boucle était fermée. Freddy… Jeffreys… Le destin s’effritait comme du vieux plâtre. Dans le lointain, la petite gare de Yellow Cross Hills disparaissait.
Le petit calepin ouvert sur mes genoux annonçait le chapitre un…


Loos, le 10 février 2005
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Romane
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MessageSujet: Re: Yellow Cross Hills Station : 1 semaine d'arrêt   Yellow Cross Hills Station : 1 semaine d'arrêt EmptyJeu 24 Fév - 19:18

J'imprime, j'imprime, j'imprime.... j'ai un dossier intitulé "Pascal"
Y'en a pas deux comme toi.... je ne peux pas me tromper !

Me permettrais-tu de faire lire certains de tes textes (et poésies) à quelques uns de mes amis, qui n'ont pas la chance d'avoir le net ?

Bisous affectueux
Romane
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