Hegel a critiqué la liberté stoïcienne en montrant
qu'elle n'était précisèment qu'une liberté toute intérieure ou encore
le simple sentiment de liberté. Epictète se sent libre intérieurement, plus libre que son maître même, mais extérieurement et socialement, il reste bel et bien un esclave. La plus grave objection à faire contre la liberté intérieure 'est qu'elle laisse se perpétuer l'esclavage et l'injustice dans le monde réel, dans l'existence effective des hommes, et qu'elle démobilise en dissuadant de lutter pour l'avènement d'une liberté effective, c'est-à-dire du droit.
Le sage stoïcien est pleinement libre à condition de ne rien vouloir, de ne faire aucun usage de cette liberté. Jamais cette liberté purement intérieure ne donnera naissance à quoi que ce soit dans la réalité extérieure :
la liberté ne peut alors pas se poser dans le monde pour se donner des contenus déterminés, des buts, alors que la liberté n'est rien d'autre que cette propension à donner à sa volonté des contenus déterminés.Seules les lois peuvent permettre à la liberté de devenir effective, c'est-à-dire permettre au citoyen de se proposer effectivement des buts et de les réaliser pleinement. "L'état est l'empire de la liberté réalisée". (Hegel). Platon écrit qu'il faut obéir aux lois pour ne pas avoir à obéir au tyran. La disparition du respect de la loi produit une situation de chaos et d'anarchie qui fait le lit de la tyrannie : l'apprenti tyran a beau jeu de se présenter comme l'homme providentiel seul à même de rétablir l'ordre dans la Cité. Mais qui se cache derrière les lois, à qui obéit-on quand on abéit aux lois ? les lois ne sont-elles pas l'émanation de la volonté du plus fort (l'individu ou classe sociale) ? Se soumettre aux lois, n'est-ce-pas se soumettre à un autre maître autrement plus puissant que n'importe quel maître qui ne serait qu'un individu privé, n'est-ce-pas se "jeter dans la gueule du loup" ?.
Rousseau a parfaitement perçu ce danger, d'autant plus grave selon lui que la la liberté est inaliénable (elle est ce que je ne peux en aucun cas confier à autrui). Or, si la loi est effectivement l'expression de la volonté d'un autre, tel est précisément ce qui se passe :
nous avons un troupeau gouverné par un chef, et non un peuple composé d'hommes libres.
La seule solution au problème polititque de la liberté est donc que le peuple doit se donner les lois à lui-même (définir dans quelles conditions et sur quelle base les individus vont pouvoir coexister au sein du même état). La liberté n'est donc pas en dernière analyse l'indépendance, ni le fait de faire tout ce qu'on veut, mais
l'autonomie (le fait de se donner à soi-même ses propres lois) : "Un peuple est libre s'il n'est soumis qu'aux lois qu'il s'est lui-même donné." (Rousseau)
ConclusionToutes les objections de type déterministe concernant la question de la liberté ne portent jamais que sur une conception naïve et superficielle de la liberté. Le fait qu'elles nous trouvent si prompts et si disposés à y souscrire est un symptôme du fait que, malgré tout ce que nous disons, nous ne sommes peut-être pas très désireux d'être libres.
Se sentir déterminé et se défausser de sa liberté est parfois bien commode, et il y a des comportements que nous ne pouvons adopter qu'en invoquant notre absence de liberté. Un savant qui avait fait un jour une expérience sur un autre homme devant les caméras de télévision a commenté les résultats de l'expérience en disant : "Vous voyez que la volonté n'existe pas puisque je lui fais faire tout ce que je veux!" Nous faisons l'epreuve immédiate de la liberté à travers l'expérience de l'angoisse et celle du remords.
Que nous éprouvions de l'angoisse prouve que nous sentons que ce que nous allons faire va déterminer qui nous allons être, nous faisons l'expérience que notre être est entre nos mains et dépend de ce que nous allons faire (par exemple, il n'y a pas d'autre façon de devenir un criminel que de commettre un crime).
Ce que nous ferons décide de ce que nous serons. Dans l'expérience de la culpabilité, nous sentons aussi que nous aurions pu faire autre chose ou ne pas faire ce que nous avons fait. Le fait que nous comprenions parfaitement la notion de devoir (que nous sachions si nous faisons ou non ce que nous devrions faire) témoigne paradoxalement du fait que nous sommes libres, et pose la question de l'usage que nous faisons de cette liberté (Kant).