Avec la complicité de Fernand Rauzéna, Pierre Dac introduisit un jour Racine dans les cabarets montmartrois, en modifiant quelque peu, étant donné les circonstances, le texte original...
PERSONNAGES
PHEDRE,
SINUSITE (1re servante de Phèdre)
PET-DE-NONNE (2e servante),
HIPPOLYTE,
THERAMENE,
LE CHOEUR ANTIQUE.
LE CHOEUR ANTIQUE (gueulant)
O, puissant Dieu des Grecs, je viens sous votre loi
Faire entendre en ces lieux ma douce et faible voix
De Phèdre et d'Hippolyte au lourd passé de gloire
Je veux ressusciter la tragique mémoire...
Phèdre aimait son beau-fils, Hippolyte au coeur pur
Qui lui ne voulait pas de cet amour impur.
Ce que vous entendrez ici n'est pas un mythe,
Mais le récit vécu de Phèdre et d'Hippolyte.LE CHOEUR ANTIQUE SORT ET HIPPOLYTE ET THERAMENE PARAISSENT
Théramène :
Tu me parais bien pâle et triste à regarder
Qu'as-tu donc Hippolyte ?
Hippolyte :
Je suis bien emmerdé !
Théramène :
C'est un sous-entendu, mais je crois le comprendre,
Va, dis-moi ton ton chagrin, je suis prêt à l'entendre.
Hippolyte :
Le dessein en est pris, je pars, cher Théramène,
Car Phèdre me poursuit de ses amours malseines.
Théramène :
Et Aricie alors ?
Hippolyte :
Ah ! Ne m'en parle pas !
Quand j'évoque la nuit ses innocents appas,
J'ai des perturbations dedans la tubulure
Car cette Aricie-là je l'ai dans la fressure,
Elle est partout en moi, j'en ai le cerveau las,
J'ai l'Aricie ici et j'ai l'Aricie là !
Théramène :
Elle a pris, je le vois, et tes sens et ta tête...
Hippolyte :
Ah ! Je veux oublier le lieu de sa retraite !
Théramène :
La retraite de qui ?
Hippolyte :
La retrait' d'Aricie
Qu'elle sorte de moi ! Aricie la sortie !
Théramène :
Mais qui vois-je avancer en sa grâce hautaine ?
N'est-ce pas de l'amour la plus pure vision ?
C'est l'ardente sirène, la sirène des reines
C'est Phèdre au sein gonglé des plus folles passions !
(On entend une trompette jouer "As-tu connu la putain de Nancy ?")
PHEDRE (entrant avec ses servantes) :
Oui, c'est moi, me voici. Tiens, c'est toi, Théramène ?
Que viens-tu faire ici ?
Théramène :
Je venais, Souveraine,
Vous redire à nouveau mon récit tant vécu...
Phèdre :
Ton récit, je l'connais, tu peux te l'foutre au c... !
A l'écouter encor' j'en aurais du malaise
Il y a trop longtemps que Théramèn' ta fraise !
Hippolyte ! Ah ! Grands Dieux je ne peux plus parler
Et je sens tout mon corps se transir et brûler !
Hippolyte :
O rage ! O désespoir ! O détestable race !
Phèdre :
Par Jupiter, je crois qu'il me trait' de pétasse !
Sinusite :
Laissez-donc maîtresse, il ne veut point de vous !
Phèdre :
Et mois j'en veux que j' dis, et j' l'aurai jusqu'au bout !
(à Hippolyte)N'as-tu donc rien compris de mes tendres desseins ?
T'as-t'y tâté mes cuiss's, t'as-t-y tâté mes seins ?
Ne sens-tu pas les feux dont ma chair est troublée ?
Hippolyte :
C'est Vénus tout entière à sa proie attachée !
Phèdre :
Oui, pour te posséder je me sens prête à tout !
Que veux-tu que j' te fasse ? Je suis à tes genoux...
Que n'ai-je su plus tôt que tu étais sans flamme...
Hippolyte :
Certes, il eût mieux valu que vous l'sussiez, Madame...
Phèdre :
Mais je n' demand' que ça !
Hippolyte :
De grâc' relevez-vous...
Phèdre :
Voyons, tu n'y pens's pas, je n' peux pas fair' ça d'bout !
Hippolyte :
N'insister pas Madam', rien ne peut m'ébranler.
Phèdre :
Si t'aim's pas ça non plus, j'ai plus qu'à m'débiner !
Hippolyte :
C'est ça, partez Madame, allez vers qui vous aime.
Phèdre :
Par les breloq's d'Hercul' je resterai quand même !
Ah ! Que ne suis-je assise à l'ombre des palmiers...
Hippolyte :
Et pourquoi donc, Madame ?
Parc'que là, tu verrais
Ce dont je suis capable et ce que je sais faire...
Je connais de l'amour 428 manières !
Hippolyte :
C'est beaucoup trop pour moi, Madame, voyez-vous.
Phèdre :
Dis, t'es pas un peu dingu' ? Ca s'fait pas d'un seul coup !
Oui, je sais distiller les plus rares ivresses...
C'est-y-vrai, Sinusite et Pet-de-Nonne ?
Les servantes (un peu gênées) :
Oui, c'est vrai, chèr' maîtresse...
Hippolyte :
Je ne serais pour vous d'aucune utilité,
Je ne suis que faiblesse et que fragilité.
Phèdre :
On n' te demande rien ! Je f'rai le nécessaire
T'as pas à te fatiguer, t'auras qu'à t'laisser faire.
Hippolyte :
Le marbre, auprès de moi, est brûlant comme un feu...
Phèdre :
J'suis pas feignat' sou l'homme et j' travaill'rai pour deux !
Hippolyte :
Vos propos licencieux qui blessent les dieux même,
Point ne les veux entendre, c'est Aricie que j'aime.
Phèdre :
Mais de quels vains espoirs t'es-tu donc abusé ?
Aricie est pucelle et n'a jamais...
Hippolyte :
Je sais !
Mais c'est cela surtout qui me la rend aimable...
Phèdre :
Oui mais pour c' qu'est d' la chose, elle doit être minable !
Allons, va, n'y pens' plus et sois mon p'tit amant
Tu connaîtras par moi tous les enchantements !
Hippolyte :
De grâce, apaisez-vous, je me sens mal à l'aise...
Phèdre :
Viens, pour te ranimer, j' te f'rai Péloponèse !
Hippolyte :
Qu'est-ce encor' que cela ?
Phèdre :
C'est un truc épatant !
Ca s'fait les pieds au mur et l' nez dans du vin blanc !
Hippolyte :
De tant de perversion tout mon être s'affole.
Phèdre :
ben qu'est-c' que tu dirais si j' te f'sais l'Acropole !
Hippolyte :
Quelle horreur !
Phèdre :
Comm'tu dis ! Mais c'est bougrement bon...
Ca s'fait en descendant les march's du Parthénon !
Hippolyte :
Prendez garde, Madame, et craignez mon courroux !
Phèdre :
C'est ça, vas'y Polyte, bats-moi, fous-moi des coups !
Hippolyte :
Vous frapper ? Moi, jamais, mon honneur est sans tache.
Phèdre :
Mais y a pas d' déshonneur, moi j'aim' ça l'amour vache...
Viens, tu s'ras mon p'tit homme et j' te donn'rai des sous...
Hippolyte :
Ah ! que ne suis-je assis à l'ombre des bambous...
Je ne veux rien de vous, mon coeur reste de roche !
Phèdre (câline) :
Qu'est-c' que tu dirais d'un p'tit cadran solaire de poche ?
J' te f'rai fair' sur mesure un' joli' peau d'mouton
Et pour les jours fériés des cothurn's à boutons...
Hippolyte :
Croyez-vous donc m'avoir en m'offrant des chaussures ?
C'est croire que mon coeur du vôtre à la pointure !
Phèdre :
En parlant de pointure, si j'en juge à ton nez,
Ell' doit être un peu là si c'est proportionné !
Hippolyte :
Vous devriez rougir de vos propos infâmes
vous me faites horreur ô méprisable femme !
Phèdre :
A la fin c'en est trop ! Mais n'as-tu donc rien là ?
Hippolyte :
Madame, je n'ai point de sentiments si bas.
Phèdre :
Les feux qui me dévor'nt ne sont pas éphémères
Hippolyt' je voudrais que tu me rendiss's mère.
Hippolyte :
Ciel ! Qu'est-ce que j'entends ? Madame oubliez-vous
Que Thésée est mon père et qu'il est votre époux ?
Phèdre :
C' qui fait que j'suis ta mèr', c'est pour ça qu' tu t' tortilles ?
Ben comm' ça tout s' pass'ra honnêt'ment en famille.
Hippolyte :
Mais si de cet impur et vil accouplement
Il nous venait un fils, que serait cet enfant ?
Phèdre :
Puisque je s'rais ta femme en mêm' temps que ta mère
L'enfant serait ton fils en mêm' temps que ton frère...
Hippolyte :
Et si c'était un' fill' qu'engendrait votre sein ?
Phèdre :
Ta fill' serait ma soeur et ton frèr' mon cousin !
Hippolyte :
Ah ! Que ne suis-je assi à l'ombre des pelouses...
Phèdre :
Tu parl's ! Avec c' mond' là, qu'est-' qu'on f'rait comm' partouzes !
Hippolyte :
Assez, je pars, adieu !
Phèdre :
Ah Funèbres alarmes !
Voilà donc tout l'effet que t'inspirent mes charmes ?
J'attirerai sur toi la colère des dieux
Afin qu'ils te la coupent !
Hippolyte :
Vous êtes bien la fille de Pasiphaé !
Phèdre :
Et toi va parles Grecs de faire empasiphaer !
Sinusite et Pet-d'-Nonne venez sacrés bougresses,
Calmez mon désespoir, soutenez ma faiblesse...
Pêt-de-Nonne :
Elle respire à peine, elle va s'étouffer...
Phèdre :
Ben, c'est pas étonnant, j'ai c' t'Hippolyt' dans l' nez !
Je veux dans le trépas noyer tant d'infamie
Qu'on m' donne du poison pour abréger ma vie !
Sinusite :
Du quel que vous voulez, d' l'ordinaire ou du bon ?
Phèdre :
Du gros, voyons, du roug' celui qui fait des ronds.
Qu'est-c' que vous avez donc à m'bligler d'vos prunelles ?
Ecartez-vous de moi !
(A Hippolyte) Toi, viens ici, flanelle.
Exauce un voeu suprême sans trahir ta foi,
Viens trinquer avec moi pour la dernière fois...
A la tienne érotique sablonneux et casse pas le bol !
(Elle boit)Oh Dieu que ça me brûl', mais c'est du vitriol !
Hippolyte :
Divinités du Tyx, je succombe invaincu
Le désespoir au coeur...
Phèdre :
Et moi, le feu au cul !